Les sciences modernes ont prétendu s’affranchir des intérêts de tous ordres et faire sortir la subjectivité et la morale de l’arène scientifique pour donner à voir des vérités absolues. Lorraine Daston montre que, à l’inverse, tout le travail de l’historien des sciences consiste à restituer l’imbrication de la morale et de la science. Car, loin d’être désintéressé, l’homme de sciences est bel et bien animé par des principes de justification et des impératifs moraux, ce que l’auteure appelle une « économie morale de la science » : « économie », parce qu’on identifie des régularités, un système organisé ; « morale » parce qu’il s’agit de prendre en compte, dans le processus même de la recherche, les valeurs et affects du savant qui la mène. Vouloir réinscrire les prises de position épistémologiques dans un horizon à la fois social et éthique ne consiste pas simplement à faire intervenir la psychologie et les motivations du savant, l’idéologie ou les intérêts, mais bien plutôt à étudier la façon dont les valeurs participent des mises à l’épreuve évaluatives par lesquelles se construisent les vérités scientifiques. Le présent essai, inédit en français et introduit par Stéphane Van Damme, a fortement contribué au renouvellement récent des approches en histoire de sciences. Il a permis, avec d’autres travaux, comme ceux de Simon Schaeffer, de rompre avec une certaine téléologie, en offrant une compréhension plus contextualisée de l’émergence des sciences modernes.